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La fête de l’Aïd el Kbir au Maroc

Des moutons rescapés © Laurie Arnauné

Par Laurie

30 janv. 2024

L’Aïd el Adha est une journée bien à part dans le calendrier marocain. D’autant que l’Aïd el Adha, la fête du Sacrifice, est volontiers appelé l’Aïd el Kbir, la grande fête. Récit d’une journée pas comme les autres lors de mon voyage au Maroc, entre ambiance surréaliste, réjouissance familiales et fumées de barbecues !

Dessine-moi un mouton

À quelques jours de l'Aïd el Kbir, les moutons sont en tous lieux visibles. Chargés à l’arrière des pick-up, stockés dans les jardins, dans les montagnes de l'Atlas ou amarrés sur des bouts de trottoirs dans les villes, ils attendent leur heure en avalant le foin qu’on leur offre généreusement. Tout ceci pour le plus grand bonheur des enfants qui les bichonnent, les dessinent et les montrent fièrement aux voisins. Les braves moutons ne se doutent visiblement de rien…

Achète-moi un mouton

Dans les familles s’organise la course aux moutons, sans qui la fête de l’Aïd el Kbir ne serait pas. Des souks aux moutons éphémères fleurissent un peu partout. On y débat sur le prix des bêtes, 2 500 à 4 500 dirhams en moyenne (un à deux SMIC local) selon le pedigree et la qualité des cornes. Les plus modestes se rabattront sur une chèvre, moins onéreuse, ou passeront par le bureau du banquier pour y signer un crédit à la consommation.

Heureusement, l’approche de l’Aïd el Adha sonne aussi la générosité des entreprises, qui, rétribuent leurs salariés de primes de l’Aïd el Kbir et d’autant de jours de congés qui vont avec.

Les préparatifs

Huit jours avant la fête, partout au Maroc, l’heure est aux préparatif. Dans les marchés, les souks et les supermarchés, étals et têtes de gondoles se voient envahis de produits d’un nouveau genre. Bassines, couteaux de boucher, charbon de bois, brochettes, congélateurs comptent dans le rang des best-sellers de l’Aïd el Adha.

Partout, la fête s’organise et les petits métiers de l’Aïd fleurissent : affûteurs de couteaux, marchands d’olives, vendeurs de fruits secs… Puis, à l’approche du jour J, la question sur la date exacte de la fête s’immisce dans toutes les conversations « la lune a-t-elle été observée ? C’est férié mardi ? ». Et oui, comme pour le ramadan, on ne connaît pas la date exacte de l’Aïd, calendrier lunaire oblige.

Une vaste migration interne s’organise dans tout le pays tandis que les villes se vident de leurs populations. Grands taxis, trains, bus et autoroutes sont pris d’assaut. Comme à la veille d’un jour de Noël, chacun s’en va rejoindre les siens pour célébrer la fête. C’est aussi le moment de faire des réserves car bientôt épiciers, boulangers et bouchers seront tous fermés…

Le jour J

Placez n’importe quel étranger au beau milieu d’une cité marocaine célébrant l’Aïd el Kbir et imaginez son état de panique à la vue des uniques habitants de la ville : des bouchers aux tabliers maculés de sang arborant de grands couteaux. Et la description est à peine exagérée. Ces bouchers vont de maisons en maisons égorger les moutons en mémoire du sacrifice d’Abraham. Tout commence de bonne heure, lorsque les bêlements des moutons se substituent aux cocoricos… Le moment est venu pour les croyants de converger vers la mosquée où les attendent la grande prière de l’Aïd el Kbir qui déborde souvent sur la rue. Les musulmans font la prière et puis, la fête se poursuit dans les maisons.

La religion pour les nuls
L’Aïd el Adha commémore le sacrifice d’Ibrahim, qui n’est autre qu’Abraham chez les juifs et les chrétiens. L’histoire, commune aux trois religions monothéistes, raconte qu'Allah (Dieu si vous préférez) demanda à Ibrahim de sacrifier son jeune fils pour éprouver sa foi. Loyal, Ibrahim  s’apprêta donc à sacrifier son fils, la mort dans l’âme. Lorsque TADAM… Dieu l’arrêta et remplaça, dans un ultime geste de reconnaissance, son fils par un mouton « envoyé du ciel ».

Le sacrifice

Pendant que les plus sensibles vont se réfugier au fond du jardin, les hommes se mettent au travail. Si vous êtes un habitué de la vie à la campagne ou que la perspective de voir un animal sacrifié ne vous effraie pas, vous assisterez sans doute au plaquage sur le sol de l'animal et à ce qui suit.

Faisant partie de la catégorie de personnes qui se réfugie au fond du jardin, je passerai donc les détails de cette scène.

À ceux qui accuseraient la violence de l’acte, je rappellerai que la viande pré-emballée passe par des circuits autrement plus violents.

La préparation

Passé la pendaison de la bête, il faut faire le travail du boucher, et par la même occasion faire le job du cuisinier.

Toute la famille participe, du beau-frère qui s’attelle à la préparation du barbecue à la grand-mère qui enrobe les morceaux de foie dans la crépine en passant par l’oncle qui gère la logistique des seaux. L’ado junior de la famille emmène, quant à lui, la tête du mouton se faire griller sur les barbecues éphémères qui fleurissent sur tous les trottoirs. Elle corroborera le couscous à la tête de mouton.

Mais pour l’heure la préparation est aux abats qui sont préparés le jour même. À cet instant, tu te dis que l’expression « dans le cochon tout est bon » matche décidément très bien avec le mouton. La carcasse du mouton, elle, attend sagement d’être préparée en gigots et en côtelettes le lendemain et les jours qui suivent. Les peaux des moutons, enfin, sont emmenées, sur des charrettes de fortune où elles iront poursuivre leur destin de poufs ou de tapis de laine.

La table de l’Aïd el kbir

Après le sacrifice, la mise du mouton en kit et la longue préparation des mets, place au repas ! Les boulfaf , brochettes de foie à la crépine,  donnent le coup d’envoi du déjeuner. Parsemées de sel et de cumin, elles sont aussi évocatrices pour un Marocain que le foie gras de Noël pour un Français. Le tout est naturellement arrosé de thé à la menthe et accompagné de salades marocaines, de pain ou d’olives.

Le ragoût d’abats, douwara, qui mêle poumons et estomac du mouton à la sauce aux oignons, aux tomates et aux pois chiche arrive ensuite, avec des variantes culinaires en fonction des régions et des familles. Le premier déjeuner est généralement assez frugal car il y a encore du travail en cuisine ! La préparation du couscous du soir attend notamment les femmes.

Le lendemain et parfois même les jours qui suivent célébreront le mouton à toutes les sauces : épaule d’agneau, gigot d’agneau grillé, agneau aux pruneaux… Il faudra bien une semaine pour que la vie reprenne son cours normal.

Table de l'Aid el kbir © Laurie Arnauné
Table de l'Aïd el Kbir © Laurie Arnauné

Au-delà de l’aspect religieux

Plus qu’une fête religieuse, l’Aïd el Adha est un grand moment de convivialité et de visites aux proches et au voisinage. C’est aussi, à l’instar de Noël, la journée des enfants… Allah n’a-t-il pas épargné l’enfant du prophète Abraham en le transformant en mouton ? Ces derniers, vêtus de leurs plus beaux habits reçoivent souvent argent de poche et cadeaux.  L’Aïd el Kbir, c’est enfin un grand moment de partage et de générosité envers les plus démunis. Dons d’argent, de nourriture et de moutons marquent les plus beaux élans de solidarité. La tradition veut d’ailleurs qu’un tiers du mouton soit offert à une personne nécessiteuse qui n’a pas eu la chance d’acheter un mouton.

Les noms de l’Aïd el Kbir dans le monde
L’Aïd el Kbir est fêté sous de nombreuses latitudes du globe. Dans les contrées non-arabophones, on lui attribue les noms suivants :
Tabaski ou Tobaski (Sénégal et Afrique de l’Ouest)
Kurban Bayrami (Turquie)
Kurban Bajram (Balkans)
Bajrami i Vogël (Albanie)
Arefa (Ethiopie)
Lebaran Haji (Indonésie)
Tafaska (chez les amazigh)
Aïd Qorbani (île de la Réunion)

Vivre l’Aïd en tant que non-musulmans

Verdict après 5 fêtes de l'Aïd el Adha passées au Maroc ? Ces fêtes de l’Aïd, en famille, me rappellent les Noël de mon enfance. Les enfants s’y retrouvent, joyeusement, et en toute simplicité. Ils sont au centre de la fête. Les grands et les anciens tissent chaleureusement les liens familiaux autour de la cuisine et des repas. Les 3id moubarak s3id (joyeux aïd) fusent et le temps est comme en suspend pendant la fête.

Brochettes de boulfaf... Bon appétit ! © Laurie Arnauné
Brochettes de boulfaf... Bon appétit ! © Laurie Arnauné